On vous explique la déroute de la société Atos, ex-fleuron français de l'informatique

L'entreprise, lancée en 1997, est en grandes difficultés financières. Son projet d'augmentation de capital, qui devait lui redonner de l'oxygène, a été annulé, lundi.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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La présentation au siège d'Atos, à Paris, du super-ordinateur Bull Sequana HX3000, le 16 février 2022. (ROMUALD MEIGNEUX / SIPA)

La chute n'en finit pas. Le géant informatique français Atos est embourbé dans une crise financière qui a fait plonger son cours de Bourse à des niveaux historiquement bas et accéléré la valse de ses dirigeants. Le titre du groupe a lâché près de 25% à la Bourse de Paris lundi 5 février après une série d'annonces stratégiques concernant le plan de refinancement de sa dette financière. Depuis le 2 janvier, l'action Atos a perdu près de 58%. Comment l'ancien fleuron de la tech française en est-il arrivé là ? Franceinfo vous explique la situation du groupe, chargé de la cybersécurité des Jeux olympiques de Paris 2024 et essentiel pour l'industrie nucléaire française.

Un géant de la cybersécurité, notamment pour l'armée ou le nucléaire

Peu connu du grand public, Atos est un acteur incontournable du secteur stratégique de la sécurité sur internet. La société a été créée en 1997 et se positionne comme le spécialiste mondial de la transformation numérique des entreprises. Elle regroupe près de 110 000 salariés dans le monde, pour un chiffre d'affaires estimé à 11 milliards d'euros en 2022. Depuis 2001, Atos est le partenaire informatique mondial des Jeux olympiques et paralympiques et, à ce titre, chargé de la cybersécurité des JO de Paris.

Le groupe est également présent dans des secteurs stratégiques comme la défense et le nucléaire. Il assure, notamment, la gestion des systèmes sécurisés de l'armée et des centrales nucléaires, produit des supercalculateurs et développe des logiciels de gestion informatique de services publics et parapublics, comme Linky ou la SNCF.

De 2009 à 2019, le groupe a été dirigé par Thierry Breton, jusqu'à ce que ce dernier devienne commissaire européen au Marché intérieur. Sous sa direction, Atos a vu sa croissance gonfler, avec des acquisitions stratégiques : la division de services informatiques de l'industriel allemand Siemens en 2010, les activités informatiques de Xerox en 2014 et Syntel en 2018, énumère Le Monde.

Des choix stratégiques hasardeux et une gouvernance chaotique

Les choix stratégiques de Thierry Breton se révèlent peu judicieux, selon les analystes et son propre successeur, Bertrand Meunier, président du conseil d'administration de 2019 à 2023. "Le succès du cours de Bourse d'Atos dans les années 2010 était en réalité le fruit d'une politique d'acquisitions et d'une forte croissance externe qui a été réalisée avec une sélectivité discutable ou insuffisante", assurait le dirigeant dans un entretien à La Tribune en septembre.

Atos a manqué des virages capitaux, comme l'essor du cloud computing dit "public", déployé par les américains Google, Amazon ou Microsoft, qui a pris son envol durant la crise du Covid-19, quand toutes les entreprises du monde ont dû repenser leur manière de travailler. Le principe ? Plutôt que d'avoir ses propres serveurs, gérés par un prestataire comme Atos, une entreprise loue des capacités chez un fournisseur de cloud partagé, en fonction de ses besoins. "Le cloud public a cassé le marché, et Atos s'est retrouvé à gérer des machines obsolètes", résume au Monde Jean-François Perret, du cabinet de conseil Pierre Audoin Consultants.

Atos a aussi "manqué le virage de l'outsourcing", c'est-à-dire la délocalisation d'une partie de sa force de travail vers des pays aux salaires plus bas, comme l'Inde, observe Le Monde. Or, dans le secteur des services numériques, "les salaires représentent la quasi-totalité des charges", selon le quotidien. Ainsi, le leader du marché, Capgemini, autre fleuron français de l'informatique, y employait 180 000 personnes en 2022, contre seulement 36 000 pour Atos.

A ces choix hasardeux s'est ajoutée une gouvernance chaotique : six directeurs généraux se sont succédé entre novembre 2019 et janvier 2024. Et le groupe a plongé dans la crise. Ainsi, alors qu'elle s'échangeait aux alentours de 75 euros début 2021, l'action Atos a perdu plus de 90% de sa valeur, pour atteindre moins de 3 euros actuellement. L'entreprise est aujourd'hui confrontée à un mur de dettes avec 3,65 milliards d'euros d'emprunts et d'obligations à rembourser ou refinancer avant fin 2025.

Un projet d’augmentation du capital annulé

En 2022, le dirigeant de l'époque, Bertrand Meunier, lance un projet de scission du groupe en deux entités cotées en Bourse. D'un côté, Tech Foundations, qui regroupe ses activités historiques d'infogérance en perte de vitesse. De l'autre, Evidian, qui rassemble ses activités en pleine croissance comme la cybersécurité, les serveurs de haute performance et supercalculateurs, et le conseil en numérisation des entreprises. Mais ce projet inquiète les salariés et certains actionnaires.

Un nouvel acteur entre ensuite en jeu. Le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky se positionne pour reprendre Tech Foundations. Une augmentation du capital d'Evidian, devenu Eviden, à hauteur de 720 millions d'euros, était également prévue et devait permettre à Daniel Kretinsky de devenir propriétaire de 7,5% du capital. Mais cette ambition est tombée à l'eau lundi. Atos, qui a justifié cette décision par "l'évolution du contexte du marché" et expliqué que les "conditions de réalisation du projet (...) ne sont plus réunies", a toutefois précisé qu'une autre augmentation de capital, d'un montant moins élevé, n'était pas à exclure à l'avenir. En parallèle, le groupe a dit poursuivre ses négociations avec Daniel Kretinsky pour la reprise de Tech Foundations. Et, ce, "sans certitude qu'elles aboutissent à un accord", a répété Atos.

Contraint de négocier avec 22 banques créancières, le groupe a annoncé lundi avoir sollicité la nomination d'un mandataire ad hoc, une mesure préventive, pour l'assister dans ses discussions bancaires, "en vue de parvenir à un plan de refinancement de sa dette financière". L'entreprise assure que cette décision sera "sans incidence sur les salariés, clients et fournisseurs".

Un dossier suivi de près par Bercy et le Sénat

Face au projet de scission, 82 parlementaires LR avaient appelé à maintenir Atos "sous le giron français". L'éventuelle arrivée de Daniel Kretinsky dans la branche Eviden, stratégique, car en lien avec la défense française et la dissuasion nucléaire, inquiétait. Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, avait assuré en novembre qu'il veillerait avec "fermeté" à ce que les activités stratégiques du groupe restent "sous contrôle exclusif de la France".

"J'ai les moyens de le faire grâce au décret sur les investissements étrangers en France pour m'assurer que le capital d'Atos sur les activités stratégiques reste sous contrôle exclusif de la France."

Bruno Le Maire, ministre de l'Economie

en novembre 2023

Au sommet de l'Etat, on garde également un œil sur ce dossier. Daniel Kretinsky a même été reçu par le secrétaire général de l'Elysée, Alexis Kohler, en septembre, avait révélé Mediapart.

Le groupe devra aussi faire face à une mission d'information au Sénat. Selon le sénateur Cédric Perrin (LR), président de la commission des Affaires étrangères, il n'est pas exclu "de transformer cette mission d'information en commission d'enquête", ce qui élargirait les pouvoirs des sénateurs, afin de "comprendre ce qui s'est passé chez Atos", a-t-il déclaré fin janvier. Leurs travaux devraient débuter "courant février".

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